Nous sommes trois membres du collectif des écoles de Marseille, et nous contestons juridiquement le fait qu’une Société Publique Locale d’Aménagement à Intérêt National, une SPLA-IN (en l’occurrence la Société Publique des écoles Marseillaises, la SPEM) assure la maintenance des écoles, ce qui dépasse son champ légal. Nous avons obtenu gain de cause en première instance au Tribunal Administratif. La Ville et l’État cherchent à contourner ce jugement via un amendement « discrètement » introduit dans une autre loi.
⚖️État judiciaire du dossier : nous avons trois requêtes en appel (Ville, SPEM et Ministère) et deux requêtes à sursis à exécution (SPEM et Ville). En procédure d’appel, nous sommes dans l’obligation d’avoir un avocat, ce que nous n’avions pas jusqu’à présent, nous précisons que les parties adverses nous demandent presque 10 000 € de frais de justice.
Les faits en quelques mots
Le Sénat a adopté, le 1er avril en « catimini », un amendement n°8 à la proposition de loi « Clarifier les obligations de rénovation énergétique des logements » (Proposition de loi n°94). Cet amendement vise à autoriser les SPLA-IN (Sociétés Publiques Locales d’Aménagement d’Intérêt National) à assurer la maintenance et l’entretien des équipements publics qu’elles construisent ou réhabilitent en modifiant l’article L327-3 du code de l’urbanisme. Le texte est maintenant en passe d’être examiné à l’Assemblée nationale, avec un risque d’adoption définitive rapide. Or, cet amendement n’a clairement rien à voir avec l’objectif initial de la proposition de loi (clarifier les obligations de rénovation énergétique des logements) et constitue un cavalier législatif*. Il n’est là que pour contrer le jugement rendu le 20 janvier dernier sur notre recours contre le marché de partenariat.
*Un cavalier législatif (ou un cavalier budgétaire ou un cavalier social) est une mesure introduite par un amendement dans une loi en préparation (projet ou proposition de loi) qui n’a aucun lien avec le texte en question. Le Conseil constitutionnel a le pouvoir de rejeter tout amendement qu’il identifierait comme étant un cavalier législatif, afin de garantir la cohérence du texte.Au fil du temps, la censure des cavaliers législatifs est devenue de plus en plus courante. (vie-publique.fr)
S’il est adopté en l’état, il va fragiliser les finances publiques et généraliser de nouveaux montages, très coûteux à long terme, pour les collectivités. Il prévoit que des Sociétés Publiques Locales d’Aménagement à Intérêt National puissent tout simplement gérer du patrimoine sur plusieurs années. Nous rappelons qu’un Société Publique Locale d’Aménagement n’a que très peu de personnel, et son principal enjeu est donc de passer des marchés de travaux, il en sera de même pour l’entretien en la maintenance.
Les sénateurs et députés sont trompés, lors de l’audience publique, la rapporteur cite la SPLA-IN Aix-Marseille Provence, SPLA-IN dont le périmètre est le traitement de l’habitat privé dégradé. A aucun moment, cette SPLA-IN dirigée par Franck Caro n’a vocation à gérer le patrimoine dans le cadre des Opérations d’Aménagement, et fort heureusement ! La destination cachée de cet amendement est bien la SPLA-IN Société Publique des écoles Marseillaises qui traite de la reconstructions et rénovation des écoles.
Pourquoi cet amendement est dangereux
Les marchés globaux de performance (MGP) que souhaitent utiliser ces SPLA-IN ressemblent fortement à des PPP : l’entretien et la maintenance à long terme sont confiés à des groupes privés, moyennant la possibilité d’un paiement différé. Comme le souhaite Jean Bensaïd, directeur de la Mission d’appui aux partenariats public-privé (FIN INFRA), ces schémas contractuels favorisent la privatisation des services techniques des collectivités. Les collectivités sont désormais de plus en plus incitées, sous couvert de performance, à signer des « packages tout-en-un » (conception, construction, exploitation, maintenance), un montage jadis connu sous le terme de PPP, qui s’est avéré très coûteux pour la puissance publique (hôpitaux en PPP, stades, etc.).
Les contrats de maintenance sur 20 ou 30 ans, signés avec de grands groupes de BTP, se révèlent bien plus chers que l’entretien géré en interne ou via des marchés séparés. Les collectivités perdront la main sur les coûts, et devront payer des pénalités élevées en cas de résiliation anticipée. Les services techniques territoriaux se vident de leurs compétences, faute d’investir dans la formation et le recrutement d’agents publics, pour se reposer sur la sous-traitance privée.
Nous alertons également sur le fait que le cavalier législatif est caractérisé. L’amendement n°8 portée au sénat sur le Projet de Loi n’apparaît nullement lié à la rénovation énergétique des logements ou à la lutte contre l’habitat indigne.Il concerne l’entretien et la maintenance dans son entièreté.
Contrairement aux propos de la rapporteur et de la ministre, il n’y a aucune garantie pour l’investissement public. Les montages « marché global de performance » (MGP) ou assimilés n’entraînent pas de transfert de risque réel au privé : ce sont toujours les collectivités qui, in fine, assument les surcoûts. Les retours d’expérience prouvent que la maîtrise publique est perdue et que la collectivité paye au final au prix fort son équipement.
Voici les menaces sur les finances locales et la souveraineté des collectivités
Une explosion des coûts : Sous couvert de « performance », les entreprises privées réclament souvent des révisions de prix, des avenants ou des pénalités coûteuses.
Une Perte de compétence publique : À force de tout externaliser, la collectivité perd la connaissance et la maîtrise technique de son patrimoine.
Une rigidité contractuelle : Les contrats seront rapidement signés pour 15, 20 ou 30 ans, rendant impossible tout changement de stratégie ou adaptation sans indemnités majeures.
Un précédent : Une fois légalisé dans la loi, le même schéma pourrait s’imposer partout (collèges, lycées, bâtiments administratifs…), au détriment de la gestion directe et des régies publiques.
Ce que nous demandons
Aux députés : Supprimer l’amendement n°8 lors du passage à l’Assemblée nationale. Cette disposition doit faire l’objet d’un débat public transparent et non être imposée en tant que cavalier dans une loi sans rapport.
Aux collectivités : Refuser de valider la « privatisation de la maintenance » des équipements publics. Les collectivités doivent conserver la main sur l’entretien de leurs bâtiments, en développant l’expertise de leurs services techniques et en maîtrisant leurs coûts.
Aux élus : Exiger un audit et un bilan des PPP / MGP existants. Avant de généraliser ces montages, il faut un état des lieux de leurs dérives financières et de leurs conséquences sur la qualité du service public.
Aux élus marseillais : Respecter les décisions de la justice administrative. Si la juridiction a annulé l’accord-cadre initial de la SPEM, ce n’est pas pour qu’on contourne la loi à marche forcée, mais pour qu’on repense un montage plus respectueux du droit et de l’intérêt général.
L’urgence d’un sursaut
L’amendement n°8 voté au Sénat transforme une loi technique sur la rénovation énergétique en véhicule pour autoriser la privatisation d’une mission des collectivités : l’entretien et la maintenance de leur patrimoine (écoles, bâtiments publics, etc.).
Cette évolution est contradictoire avec les engagements des élus de gauche à Marseille, dangereuse pour les finances locales et injustifiée d’un point de vue juridique.
Nous appelons les députés à rejeter cet amendement et à refuser toute généralisation des marchés globaux de performance assimilables à des PPP. Il faut préserver la souveraineté des collectivités, leurs compétences techniques et la bonne gestion à long terme de nos deniers publics. En clair : il est encore temps de stopper ce cavalier législatif !
LA VILLE MAINTIENT QUE NOTRE RECOURS RISQUE DE CASSER LES CONTRATS OBLIGEANT AINSI LA SPEM A PAYER DES INDEMNITÉS.
C’EST FAUX !
Leur argument de dire que notre action juridique casserait les contrats avec des indemnités exorbitantes ne tient pas la route, c’est une reprise de leur argument dans les recours en appel. Pour plusieurs raisons :
- Le contrat attaqué est l’accord cadre entre la ville et la SPEM et non pas les marchés de travaux passés par la SPEM,
- Les marchés de travaux de type MGP passés par la SPEM (ceux qui embarquent de l’entretien et de la maintenance) peuvent très bien être transférés à la ville sans casser nullement ces marchés passés avec les entreprises, c’est juste un changement d’autorité publique. Ils l’ont fait dans l’autre sens pour les premiers MGP qui avaient été lancés par la ville, et qui ont été transférés à la SPEM dans le cadre du Marché Subséquent n°1.
Nous avons les documents CCAP du marché de ces premiers MGP, voici ce qui est précisé pour la cession par le maître d’ouvrage, c’est clair : Le Titulaire ne pourra prétendre à aucun aménagement du Marché ni aucune indemnité du fait de cette cession. Assurément les mêmes clauses (classiques) sont présentes dans les marchés actuels.
Donc quand la Ville et l’État affirment disent que cela va occasionner des ruptures de contrats avec indemnités, c’est totalement faux.

Un enjeu national de 40Md€ et plus de travaux qui dépasse le projet de rénovation des écoles de Marseille

